samedi 9 juin 2007

"Sauf conditions exceptionnelles" : elle est bien bonne !

Avocats et juges sont unanimes : ils estiment que la loi sur les peines minimales présentée par la ministre de la justice, Rachida Dati, vendredi 1er juin, aura pour conséquence une forte augmentation des effectifs des prisons. "L’impact de ce texte, qui fait pression sur les juges, sera très lourd. Les conséquences en termes de surpopulation carcérale vont être considérables, estime Bruno Thouzellier, président de l’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire). "Car si, formellement, on laisse une marge d’appréciation au juge pour prononcer une peine de prison ferme ou non, dans les faits, on la lui enlève."

Même analyse au Syndicat de la magistrature (SM, gauche) : "Même si la possibilité de prononcer des peines alternatives à la prison n’est pas remise en question, l’effet conjugué de ce texte avec la loi de décembre 2005 limitant les possibilités de sursis aura pour effet de faire déborder les prisons déjà surpeuplées et de mettre en place un système pénal rompant définitivement avec toute conception humaniste de la sanction."

Pour Paul-Albert Iweins, président du Conseil national des barreaux, "ce qui est préoccupant, c’est que les circonstances de faits et de personnalité disparaissent avec la deuxième récidive. On restreint la capacité des juges et des jurés".

Le projet de loi "tendant à renforcer la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs" est au Conseil d’Etat. Il vise un champ très large : il ne concerne pas seulement les crimes, mais s’applique aux délits les plus courants, à partir de trois ans d’emprisonnement encourus, soit les vols simples. Les peines minimales s’appliquent aux mineurs récidivistes de 16 à 18 ans. Pour eux, de surcroît, l’excuse de minorité disparaît au troisième acte délinquant : ils seront dès lors passibles des mêmes sanctions que les adultes.

Le texte ne comporte que quatre articles : les deux premiers fixent les peines minimales que les juges, sauf conditions exceptionnelles, devront prononcer. Ces planchers sont de l’ordre du tiers de la peine maximale prévue : un an si le délit est puni de trois ans de prison, deux ans s’il encourt cinq ans, etc.

Le projet modifie une nouvelle fois l’ordonnance de 1945 sur l’enfance délinquante, dont la dernière retouche date de mars. "Les carences de la justice des mineurs, qui met un temps infini à prononcer les condamnations, différeront l’effet de cette loi, mais d’ici quelques années, elle fera passer le nombre de mineurs détenus de quelque 700 actuellement à 3 000 ou 4 000", estime un procureur qui requiert l’anonymat.

La loi prévoit, enfin, une disposition qui devrait conduire plusieurs milliers de condamnés à passer un temps plus long en détention : le juge d’application des peines pourra constater lui-même que les faits ayant conduit la personne en prison relèvent d’une récidive, même si cela n’a pas été relevé par la juridiction de jugement. En clair, seront ainsi revues les libérations conditionnelles, les réductions de peine accordées pour bonne conduite (sept jours par mois, cinq mois en situation de récidive) ou les remises supplémentaires accordées au titre de la réinsertion (trois mois par an, deux mois en cas de récidive).

"Cette disposition visant à "rattraper" le défaut de vigilance des juges aura un impact énorme sur les durées d’incarcération", pense David de Pas, juge d’application des peines, membre du SM. "Cela remet en question l’autorité de la chose jugée et va à l’encontre des lois précédentes qui ont demandé aux juges d’aménager les peines pour limiter la récidive", critique Mickaël Janas, président de l’Association des juges d’application des peines.

Pour les majeurs comme les mineurs, le message est la fermeté : à la deuxième récidive, c’est bien le maintien en liberté, et non l’incarcération, qui doit être spécialement motivé par le juge. "On inverse la logique judiciaire", dénonce M. de Pas. Dans la pratique quotidienne de la justice pénale, notamment celle des comparutions immédiates, le résultat ne fait aucun doute.

Source : Le Monde (2 Juin 2007)

Aucun commentaire: